Pourquoi les trolls vivent sous les ponts au juste ?

On m’a demandé de publier un conte du recueille de Sabrina Uraïr, un livre conçu pour accompagner le jeu Oreinidia.

Couverture

La démarche peut sembler étrange, mais je pense qu’elle fait sens. Cela enrichit l’univers d’une mythologie commune que le MJ et les joueurs partagent, et qui permet ensuite de construire des scénarios basés sur ces contes et légendes.

J’ai donc fait voter le public et c’est… roulements de tambours, “Pourquoi les trolls vivent sous les ponts ?” Qui est sorti gagnant avec 3 voix (devant “Le cercle d’azur” et “La voix de la mort”.

Avant de vous présenter ce conte, laissez moi donner quelques remarques ! Ce petit récit appartient à la famille des contes “dérivés d’un conte de notre monde”, tel que je les désigne. Le livre contiendra aussi des histoires originales et des contes recréés à partir de plusieurs des nôtres. Le conte original, les connaisseurs l’auront reconnu, est “De tre bukkene Bruse” (Non, je ne parle malheureusement pas Norvégien, c’est juste pour se la péter que je vous donne le titre original ;P). Lorsque j’ai fais mes recherches bibliographiques pour trouver des inspirations pour Oreinidia j’ai découvert plein de contes du monde entier, notamment de Norvège. Avec un peu de chance et une bonne dose d’érudition vous pourrez les reconnaître dans le livre, car ils auront tous été adapté à l’univers du jeu !

C’est un conte enfant-friendly. Il y en a d’autre, plus sombres ou simplement plus adultes, prévus aussi dans le livre.

La version qui est présentée ici est un work in progress assez avancé, il se peut que le texte change encore un peu.

Mais maintenant laissons la parole à la barde Sabrina Uraïr, grande Voyageuse, musicienne, conteuse et poétesse à ses heures perdues:

Parmi toutes les histoires que j’ai entendues celle-ci n’est pas ma préférée. Je pense que c’est mon côté d’elfe bleue mélancolique et romantique qui n’arrive pas à apprécier comment les habitants du Centre considèrent les contes comme des histoires simplettes pour les enfants ! Mais est-ce vraiment le cas ? Bien sûr je ne sors ce conte de mon répertoire que lorsque j’ai un jeune public. Cela les fait toujours rire, le sort réservé au méchant à la fin de l’histoire. Mais certains détails sont troublants. Pourquoi parle-t-on des guildes ? Et pourquoi le lieu ou tout cela s’est produit est-il cité si explicitement ? Un jour peut-être j’irai sur cette petite route qui passe par dessus le ravin des tichodromes, et j’y trouverai des réponses. Mais aujourd’hui laissez moi vous raconter…

Pourquoi les trolls vivent sous les ponts ?

Il y a longtemps, les trolls contrôlaient la magie de la pierre et tous avaient besoin d’eux pour construire un pont qui soit sûr ou une maison qui ne s’écroule pas. Bien entendu les trolls en abusaient et, comme ils étaient presque tous des ombres et des ogres, les populations payaient un lourd tribut à leur férocité. Or, il advînt que la guilde des bâtisseurs découvrit comment ériger des voûtes. Ainsi, les souris purent construire leurs villes ou leurs routes sans devoir demander l’aide de ces monstres. Il va de soi que les trolls en furent irrités, et ils menacèrent le grand peuple des rongeurs des pires maux, disant qu’il faudrait aux petites mais braves fées des armées entières pour passer sur les ponts qu’elles avaient érigés tant qu’au moins un troll y résiderait !

Les trolls prirent donc leurs quartiers sur les ponts du royaume, et dévoraient tous les imprudents qui osaient passer seuls. C’était au tour de la guilde des bâtisseurs d’être irritée, car ils désiraient pouvoir exploiter leurs constructions, avec la guilde des marchands, sans devoir payer des escortes pour les caravanes. Mais chaque fois que des troupes étaient envoyées pour déloger un troll, ce dernier se fondait dans la pierre et il était donc peine perdue d’essayer de le faire partir !

Un jour, néanmoins, trois jeunes apprentis des guildes des marchands et des bâtisseurs s’avancèrent et annoncèrent qu’ils allaient déloger l’une de ces créatures de son pont. Tous leurs rirent au nez, mais qu’importe, ils prirent la route car ils avaient un plan.

Arrivé à proximité du pont du ravin des tichodromes, les trois souris se séparèrent et se dirigèrent l’une après l’autre vers l’ouvrage en pierre. La première, qui était la plus petite, s’avança discrètement tentant de ne pas se faire remarquer par le gardien des lieux. Mais c’était peine perdue, le monstre sorti de derrière l’un des murs, titanesque, avec sa peau grise, sa grande barbe et des pieds et mains surdimensionnés.

– Mmmmmhhhh, une juteuse petite souris, quelle chance ! Il y a longtemps que plus aucune souris n’est assez téméraire pour passer seule sur un pont. Je meurs de faim ! À défaut d’être copieux, ce repas tombe à pic, dit le troll en se léchant les babines !

– Tu ferais mieux d’attendre qu’une autre souris passe, rétorqua le jeune apprenti, tu ferais alors un repas plus copieux, regarde, en voici déjà une qui arrive !

Le troll remarqua en effet le second apprenti, qui déjà s’avançait sur la route. Il se dissimula donc derrière un mur en gardant sa première prise dans sa main gauche. La seconde souris s’avança à son tour sur le pont, faisant mine de tenter de se cacher. Le troll jaillit et l’attrapa dans sa main droite !

– Miam, elle reste petite. Mais avec ces deux proies je ferai un meilleur repas qu’avec juste la première, affirma le troll !

– Messire troll, rétorqua le second apprenti, si vous êtes en mesure d’attendre voici qu’une troisième souris s’en vient par ici. Vous feriez un repas convenable si vous parveniez à l’attraper elle aussi !

Le troll, un peu stupide et désireux de manger à sa faim, conclut que c’était vrai. Il retourna donc se cacher avec une souris dans la main droite et une autre dans la main gauche. Quand le troisième apprenti arriva sur le pont, la créature surgit à nouveau et voulut l’attraper. Mais il avait déjà les deux mains prises, et ne s’en rendît compte que trop tard. Le troisième apprenti avait fait un saut en arrière. Le troll lâcha donc ses deux premières prises pour tenter de se saisir de la troisième. Mais sa cible le poussa vers le ravin alors que les deux autres, derrière lui, se jetèrent sous ses jambes pour lui faire perdre l’équilibre.

Le troll bascula dans le vide et heurta le fond avec fracas. Le troisième apprenti le railla alors:

– Hé bien, je suis heureux de découvrir que ma technique pour jeter les trolls de par-dessus les ponts marche bien ! Va dire à tes collègues que je l’apprendrai à toutes les souris, et que vous nous laisserez à présent utiliser nos constructions sous peine d’être jetés dans le vide !

Le troll était vraiment stupide, il n’avait pas compris qu’il fallait trois souris, dont deux derrière lui, pour le faire choir. Mais il n’était pas bête ! Lui et ses frères conclurent qu’il fallait vivre à présent sous les ponts plutôt que dessus. Car si on peut les faire choir de dessus, gare au voyageur égaré qui se risquerait au-dessous, pour peu qu’un troll soit présent… En ai-je déjà croisé ? Fort-heureusement non ! Mais il ne faut jurer de rien, peut-être que quelque part sous un pont, un monstre fondu dans la pierre attend encore de dévorer les imprudents !