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NON AU TUNNEL TUEUR !!

Le débat pour ou contre le 2ème tube au Gothard s’enflamme et les partisans du oui, manifestement acculés dans leurs derniers retranchements, nous assènent un argument ultime et très émotionnel : la sécurité, les accidents, un incendie dans un tunnel, bref une masse de cadavres à éviter.

Et bien permettez-moi de vous annoncer que même ici il s’agit d’un énorme mensonge, car ce fameux 2ème tube présente toutes les caractéristiques d’un tueur en série.

Détaillons tout cela et comparons les gains et les pertes.

Bien évidemment, la séparation des pistes dans deux tubes distincts amène un gain localisé. Mais concrètement de quoi parle-t-on ici. Les statistiques de l’Office Fédéral des Routes nous montrent une économie potentielle de 25 morts (voir note) lors d’accidents routiers depuis la mise en exploitation en 1980 (soit donc 0.7 mort par année en moyenne). Il ne semble pas inutile de rappeler que le maximum de mort a été provoqué par le fameux incendie de 2001. Or ce scénario ne devrait plus se reproduire puisque suite à cette catastrophe le tunnel a profité de nombreuses améliorations dont un système de ventilation incomparablement plus performant ainsi qu’un “compte goutte” espaçant les poids lourds. Plus récemment encore, il a  été équipé de portails détectant toute chaleur excessive de poids lourds et bloquant tout cas dangereux avant son entrée dans le tunnel. Dès lors considérer un gain de sécurité de 0.7 morts par an relève déjà presque d’un abus de langage, puisque les mesures de sécurité prises depuis cet accident de 2001 contribuent déjà à faire baisser ce chiffre.

Soit, me direz-vous mais tout gain aussi faible soit-il reste bon à prendre quand on parle de vies humaines. Et bien pas forcément, car de l’autre côté, il y a aussi des pertes. Si les pertes dépassent les gains, la conclusion s’impose d’elle-même!

En premier lieu, on peut mentionner les morts qui découleront du chantier lui-même. Les partisans du 2ème tube nous diront qu’il s’agit d’un sacrifice nécessaire, qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, que cela n’est pas sûr et qu’au final nous y gagnerons. La suite de cette réflexion montrera le contraire, et on rappellera que la construction du tunnel de base a coûté 9 vies humaines auxquels s’ajoutent 3500 blessés soit une létalité supérieure à 12 ans d’exploitation du tunnel actuel.

Le rapport “Points noirs sur les routes nationales entre 2012 et 2014” de l’Office Fédéral des Routes (OFROU) le montre, on ne peut plus clairement, le tunnel du Saint-Gothard n’apparaît qu’en 33ème position des points accidentogènes de notre pays; position dont il faut encore préciser qu’elle était particulièrement mauvaise sur cette période. Ceci signifie concrètement qu’il y a au minimum 32 autres tronçons routiers générant plus d’accidents et en général encore davantage. La sagesse populaire le résume simplement, on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre! Si 3 milliards sont investis, non dépensés, toujours non gaspillé en fait, au Gothard, ils manqueront forcément ailleurs, et donc en toute logique ils manqueront à un endroit tuant plus de gens! Les affirmations de certains politiciens pro-tube à la limite de la malhonnêteté comme quoi il y a assez d’argent pour tout relèvent d’un aveuglement grave. Rappelez-vous la population a refusé sèchement une hausse de la vignette autoroutière pourtant pas si méchante que cela (60.– par année). L’initiative populaire “vache à lait” pourrait encore bouleverser nos si fragiles équilibres dans les transports et conduire à une catastrophe induisant un blocage total du système. En clair et en français les 3 milliards gaspillés au Saint-Gothard conduiraient rien que sur cet aspect à une hausse globale des accidents et partant donc des victimes, si l’on se donne seulement la peine de regarder l’entier du réseau et comment l’argent gaspillé eut pu être mieux utilisé.

L’économie en terme de vie humaine possible grâce à la réaffectation de ces 3 milliards dépendra bien évidemment de quels points noirs bénéficieraient de cette manne comme de la solution retenue. En 2014, 243 personnes ont perdu la vie sur les routes suisses. Ce chiffre peut paraître faible, mais il faut garder à l’esprit que simultanément plus de 21’000 personnes ont été blessées dont 4’000 grièvement. Utilisés de manière judicieuse, les 3 milliards discutés devraient aisément permettre d’éviter une dizaine de morts par année et une centaine de blessés.

On le voit très clairement sur l’image suivante (source : Sonntagszeitung), il y a si peu d’accidents au Gothard en proportion du total (accidents 2011-2014) que l’on doit chercher son emplacement précis !

La réflexion qui précède part de l’idée que “toutes choses resteraient égales par ailleurs”. Or ceci est clairement faux! L’ouverture de ce 2ème tube conduirait inévitablement à un accroissement du trafic et même un très fort accroissement du trafic poids lourds. Plus de véhicules sur les routes et tout spécialement de camions signifie plus d’accidents partout! Le rapport BPA (Bureau de Prévention des Accidents) sur l’opportunité de construire un 2ème tube au Gothard le dit clairement : un faible accroissement du trafic, 3% dans le cas d’espèce, suffit à faire perdre l’avantage sécuritaire gagné par un tube supplémentaire et 6% conduisent déjà à une aggravation claire. Comme les experts les plus prudents s’attendent à une augmentation de l’ordre de 30% des poids lourds transitant à travers notre pays sur l’axe Bâle-Chiasso, nous pouvons garantir que ces 6% seront dépassés et donc le bilan en terme de conséquence humaine présentera des chiffres négatifs ici aussi sans même considérer un meilleur usage possible des fonds.

La cerise pour couronner le gâteau est presque parée de la cape d’invisibilité d’Harry Potter. De la poussière si petite, si insignifiante, qu’elle fût baptisée particules fines. Juste dommage qu’elle vous inflige cancer, maladie cardiovasculaire, et autre joyeusetés sans vous prévenir. L’OFEV le dit dans son rapport “Environnement Suisse 2015 chapitre 10 Air”, la pollution atmosphérique conduit à 3’000 décès prématurés par an et à une charge sur les frais de la santé publique de plus de 4 milliards également par an (à titre de comparaison les primes d’assurance maladie payées par l’ensemble des citoyens se situe un peu en dessus de 30 milliards par année). Certes le trafic n’est pas seul en cause, mais il y contribue de manière décisive notamment pour les particules ultrafines considérées depuis peu comme les plus nocives car pénétrant plus profondément dans l’organisme.

Ne tergiversons pas : mettre en place une structure amenant plus de trafic induira plus de pollution, qui elle-même apportera son lot de morts et de maladies graves. Il ne semble pas inutile de rappeler ici que le Tessin, soit disant bénéficiaire principal de ce deuxième tube, est déjà particulièrement touché par ce problème de pollution aux particules fines. Si l’ensemble de la Suisse subissait les mêmes conditions, nos primes maladies grimperaient de 10 à 15%, et plus grave encore le nombre de morts prématurés doublerait pour atteindre un chiffre avoisinant les 6’000 décès par année. Vouloir imposer une aggravation à la population tessinoise relève plus de la volonté criminelle que de l’erreur politique.

Résumons-nous, ce deuxième tube ne sauvera en réalité personne puisque son faible gain sera plus que perdu par les conséquences de l’accroissement du trafic, nous perdrons quelques vies humaines durant la construction, la meilleure utilisation possible des fonds aurait permis de sauver facilement 10 fois plus de vies humaines ailleurs, et enfin la pollution induite tuera encore de nombreuses personnes tout en fragilisant la santé de beaucoup plus encore.

Bref, j’accuse sans la moindre hésitation les partisans du 2ème tube, qui jouent actuellement la carte émotionnelle à fond en nous présentant à toutes les occasions les images de l’incendie conséquence de l’accident de 2001, soit d’incompétence totale ou alors de mauvaise foi criminelle.
Oui ce 2ème tube représente une menace réelle pour le bilan global de notre sécurité routière. De manière, certes partiellement indirecte mais bien réelle, il tuerait bien plus de vies qu’il n’en sauverait. Je suis prêt à accepter l’argumentaire de la sécurité maximale, mais alors un peu de cohérence s’il vous plaît, et constatez que ce projet brisera des vies, des familles et je m’interroge s’il n’y a pas une confusion sur ce que nous creuserions ici, un tunnel ou une fosse commune ?

Laurent-David Jospin

Note : le chiffre précédemment évoqué ici de 36 morts incluait des morts non routiers (par exemple lors de la construction), qui ne doivent pas être pris en compte pour le calcul de l’économie possible au niveau pure de la circulation.

Sources :
Office Fédéral de l’environnement OFEV, rapport environnement suisse 2015
Bureau de Prévention des  accidents, Tunnel routier du Saint-Gothard, répercussion d’un tunnel bi-tube en terme de sécurité routière
ainsi que les sources de la publication Un 2ème tube synonyme de triple gaspillage

La bonne réponse à la chute des prix du pétrole : ne plus en dépendre!

Il peut sembler très contradictoire de constater la baisse de prix d’une ressource, quelle qu’elle soit au demeurant, et que l’on conclue à ce qu’il serait préférable, justement du fait de cette baisse, d’en s’en passer le plus vite possible. Et pourtant, j’espère par ces quelques lignes pouvoir vous en convaincre. Nous allons rapidement constater le peu de crédibilité d’une action de la main du hasard, passer en revue quelques unes des cibles potentielles et enfin voir les risques encourus pour notre pays. Bien évidemment, je ne résisterai pas au plaisir de vous proposer une solution, d’ailleurs la seule crédible à ce jour.

Ces derniers mois, nous avons vécu une authentique dégringolade des prix du baril  du brut, presque divisés par deux, durant une chute apparemment totalement imprévisible. Tous ces événements, très rapides, se sont déroulés sans que l’on puisse les expliquer par un élément rationnel de manière certaine, même à posteriori. Les explications les plus sérieuses côtoient les plus audacieuses, et rien n’y fait, le paysage reste brumeux à souhait.

La simple explication de l’abondance de la ressource combiné aux lois du marché ne tient absolument pas la route. En effet, la “denrée” pétrole se produit et se consomme en flux quasi tendus, hors réserves stratégiques cela va de soi. Elle n’est certes pas inapte au stockage. Simplement, le coût d’un tel stockage conduit à une dévalorisation constante de la marchandise au fil du temps. Dès lors, une sur- ou sous-production de seulement quelques petits pour-cents peut conduire à des sauts de prix gigantesques.

Pour vous donner rapidement une idée de l’importance de l’effet de levier entre le différentiel production versus consommation et l’effet effectif sur les prix, vous pouvez prendre connaissance de l”explication donnée par le Dr. Thomas Chaize (lien : http://www.dani2989.com/matiere1/marginalcostoil0212fr.html), qui démontre qu’une infime variation de la demande peut conduire à une multiplication par 4 des prix. Dans le monde actuel, la demande ne se régule quasiment pas, ou seulement lors d’événements extraordinaires (embargo, quota, …). On peut par contre très facilement jouer sur l’offre, surtout s’il ne s’agit que de micros adaptation à la baisse.

A l’instant où j’écris ces lignes, le consensus table sur une consommation journalière mondiale de 92 millions de barils. La production cumulée OPEP + non OPEP s’afficherait à 94.5 millions de barils-jours. Le surplus réel se situe vraisemblablement un peu en dessous de la différence strictement mathématique peut-être à 2 millions de barils-jours.

En clair et en français, les producteurs se mettraient d’accord pour une petite baisse de peut-être 3-4% et ils toucheraient grosso mode le double d’argent, tout en préservant leurs réserves pour les ventes futures. Pour ma part, je n’arrive pas à croire qu’une mésentente puisse conduire à un tel non sens, absurde me semblerait bien faible comme qualificatif. Même les pires ennemis, lorsque leurs intérêts convergent, trouvent une solution, ce d’autant plus si les enjeux s’approchent ou dépassent la taille d’un budget national! A mon avis, il peut être considéré comme certain que la situation prévalant actuellement est intentionnelle et qu’un enjeu, vraisemblablement très important, se cache quelque part. Pour conclure sur cette question, on peut enfin rappeler que si le coût actuel du baril conduit à ce que certaines filières d’extraction ne soient plus rentables, c’est surtout toute une série de pays producteurs, dont des acteurs majeurs, qui ne sont, aux conditions actuelles, plus capables de boucler leurs budgets nationaux.

Je ne résiste pas au plaisir de citer la réflexion proposée par Monsieur Laurent Horvath sur son blog 2000watts.org, car appartenant aux plus solidement bâties et mieux étayées que l’on puisse trouver dans les cercles sensibles aux questions énergétiques, même si je sentais bien que quelque chose ne tournait pas rond  : pour faire court, LH développe le point de vue que l’Arabie Saoudite a pris subitement ombrage du rôle de plus en plus important comme producteur de pétrole des USA et qu’elle aurait donc décidé d’exécuter toute la filière des pétroles de schiste nord-américaine via une baisse de prix temporaire. L’idée étant que le prix de vente artificiellement abaissé à un niveau juste inférieur au prix de revient des pétroles de schiste devait rapidement tuer les entreprises s’étant engagées sur ce créneau, et que par la suite les prix pourraient remonter à un niveau normal. LH s’est trouvé renforcé dans son raisonnement initial, lorsque subitement l’Arabie saoudite a officiellement déclaré que sa cible était bel et bien les producteurs de gaz et pétrole de schiste.

Vraiment?  Et bien, permettez-moi d’en douter et pour de très bonnes raisons. (En passant et hors sujet, j’apprécie toujours beaucoup de lire le blog de M. Horvath car riche en informations et réflexions de qualité, donc merci de ne pas me prêter des mauvaises intentions ici).

En premier lieu, il est utile de rappeler ce qu’est vraiment l’Arabie saoudite, un colosse regorgeant de pétro-dollars certes, mais dont les pieds posent sur le sable au propre comme au figuré. Un peu plus de 90% des rentrées de devises du pays proviennent directement (85%) ou indirectement de la production pétrolière. Or cette manne pétrolière profite presque totalement à un cercle restreint d’élus : la famille princière comprise dans un sens très large. L’ensemble des bénéficiaires présente une belle unité apparente, mais il ne s’agit que de façade. Les équilibres du pouvoir restent précaires et une baisse durable des “royalties”  (au sens propre!) perçues ici pourrait conduire à une instabilité violente dans les plus hautes sphères.

L’autosuffisance alimentaire bien que présentée comme un but essentiel à moyen terme, reste manifestement du pur domaine des fantasmes, la compréhension locale de l’islam conduisant à ce que la quasi totalité de la population refuse les tâches considérées comme serviles ou impures, ce qui en cascade rend l’implantation d’une agriculture digne de ce nom totalement illusoire. Le pays est contraint d’importer quasiment le 100% de son approvisionnement alimentaire et pratiquement toute sa consommation au sens large. Toujours lié à cette considération sur les tâches serviles, la population est constituée de 30% d’émigrés qui réalisent en pratique 90% du travail effectif produit.

De l’autre coté, la population, majoritairement jeune, avec une part supérieure à 70% de moins de 30 ans, croît à un rythme de 3% l’an, et au minimum pour l’instant, avec infiniment peu d’espoir de grimper dans l’échelle sociale. Cette population subit un authentique lavage de cerveau en subissant un islam sectaire et indéfendable aux yeux de la très large majorité des musulmans actuels. Il plane un risque clair, que ce conditionnement se retourne contre ses auteurs, il suffirait qu’un leader charismatique émerge et canalise la frustration existentielle créée artificiellement dans l’esprit  de la population. L’image que j’aime à en donner est celle d’un baril de poudre placé en plein soleil. Il suffit d’arrêter l’arrosage à peine trop longtemps et boum, vous aurez le plaisir d’admirer une belle explosion (de loin de préférence!).

En bref, l’Arabie saoudite est à peu près autant dépendante de la manne pétrolière que nos démocraties occidentales de son pétrole. Si l’occident acquière sa paix sociale via une politique de redistribution soutenue par une croissance sans limite prévisible, le royaume wahhabite fait tourner la pompe à pétro-dollar pour obtenir le même résultat. La question de savoir laquelle des deux politiques percutera le mur en premier est loin d’être triviale et pourrait avoir des répercussions majeures sur le visage du monde de demain.

Et voilà que sur ce tableau déjà peu réjouissant en lui-même plane l’ombre du peak oil! Officiellement, le gouvernement saoudien nie toute fin prévisible à court terme. Mais voilà, d’anciens officiels du régime, comme le très respecté Cheik Yamani, lorsqu’ils peuvent récupérer leur liberté de parole, décrivent une situation bien moins rose. L’affirmation circule depuis quelques années déjà, que l’Arabie saoudite n’arrive à maintenir la production de son champ phare Ghawar (60% de la production du pays à lui seul), que grâce à des injections massives d’eau de mer pour augmenter la pression et ainsi soutirer les derniers barils récupérables. Les récentes fuites de câbles diplomatiques (wikileaks) laissaient même penser que d’ici 20 à 30 ans maximum la production pétrolière du royaume wahhabite débuterait un déclin marqué, si ce n’est son effondrement.

La baisse des prix actuels, grosso modo de 100 à 60US$  le baril, représente une perte sèche pour l’économie saoudienne de 400 millions de US$ par jour! Oui, vos yeux ne vous mentent pas, 40US$ de moins multiplié par une production journalière de 10 millions de barils (en arrondi) donnent bien ce chiffre exorbitant, qui devient presque surréaliste si considéré sur une année entière soit une perte de 146 milliards de US$.

Ceci étant rappelé, réfléchissons quelques instant si une manœuvre visant à ruiner la filière des pétroles de schiste aurait la moindre chance d’aboutir. Les mécanismes de l’économie de marché comprise dans un sens très libéral prévalent, en principe, aux USA. En principe seulement, car bien évidemment lorsque le gouvernement, à mes yeux largement pas autant démocratique qu’il le prétend, considère que x ou y activité relève de la sécurité nationale, il n’hésitera pas un seul instant à piétiner, avec un enthousiasme mal dissimulé, les mêmes principes considérés comme sacro-saints l’instant d’avant.

Le scénario, écrit d’avance, se déroulera grosso modo comme suit. Les acteurs les plus faibles feront effectivement faillite. Ils seront racheté pour 1 cent symbolique et la nouvelle entité pourra continuer à produire sans avoir à amortir les investissements initiaux. En terme économique, on dit qu’elle produira au coût marginal. Donc pour réellement impacter durablement la filière, il faudrait descendre les prix mondiaux en dessous du coût marginal de la filière pendant une durée suffisante pour mettre tout le monde à terre, y compris des majors disposant d’une activité globale sur la planète entière leur permettant ainsi de jouer entre les marchés. Si vraiment, l’Arabie saoudite souhaite obtenir ce résultat, elle doit donc inonder le marché durant une période de temps difficilement déterminable à l’avance, mais dont on sait avec certitude qu’elle sera longue. Le simple espoir que les prix puissent remonter dans un futur proche peut d’ailleurs suffire à maintenir la filière en vie dans un état de semi-coma mais avec un réveil toujours possible. Et puis, n’en doutez pas, Oncle Sam le “bienveillant” veille au grain. Il sait mieux que quiconque que dépendre de l’étranger pour une ressource aussi stratégique que l’énergie ne peut que vous mettre dans une situation de faiblesse et si vraiment cela devient nécessaire, il agira. La filière pourra donner l’impression de mourir, mais il ne s’agira que d’un sommeil trompeur, et tel le Phénix, elle renaîtra de ses cendres au moment précis où elle fera toute la différence entre un pays dépendant ou une nation autonome et partant libre de ses actions. (note hors sujet : je reste personnellement totalement opposé à l’exploitation aussi bien du gaz de schiste que du pétrole de schiste, mais l’analyse de ce post tourne autours des réflexions court-termistes politiques actuelles et non pas celles d’une vision durable et responsable pour les générations futures).

Permettez-moi dès lors de douter que les responsables saoudiens se lancent à corps perdu dans une telle quête vouée à l’échec, alors qu’elle signifie pour eux la quasi certitude d’une explosion sociale gravissime à la manière de celles d’autres pays proches comme la Libye ou Syrie.

Bon, poursuivons un peu la réflexion et si les pétroles de schiste ne sont pas dans le viseur, qui serait visé alors?

On pourrait penser bien sûr à l’Iran, qui suite à l’embargo le frappant, doit vendre avec des grosses difficultés son pétrole aux chinois et donc une perte financière significative à la clef. Les saoudiens (wahhabites soit une secte du sunnisme) et les perses (chiites) se haïssent notoirement pour des raisons à la fois culturelles et religieuses. Un Iran nucléaire serait effectivement complétement inacceptable aux yeux des Princes saoudiens. Le rapprochement entre les USA et le grand voisin perse a fortement déplu.

Toutefois, les stratèges saoudiens le savent, depuis des dizaines  d’années de sanction, l’Iran a développé une faculté de résilience très élevée. On pourrait même dire que le pays des mollahs fonctionne à l’extrême opposée du royaume wahhabite. L’Iran a appris à pratiquement tout produire par elle-même et vouloir faire plier ce pays  sans avoir un soutien réellement convergent du reste de la communauté internationale semble peu crédible. Dire que les princes de Ryad souhaitent diminuer l’influence de Téhéran sur le Golfe persique relève du pléonasme. Mais la cible semble néanmoins trop évidente et trop élevée également. Je ne puis exclure cette possibilité, mais comme la douleur infligée à l’émetteur dépassera largement les conséquences réelles chez le receveur, il me semble sincèrement que nous pouvons mettre cette piste quelque peu de coté.

On peut également penser à la Russie comme cible potentielle. Le conflit ukrainien a conduit à une politique de sanctions visant (ou plus exactement souhaitant viser) la garde rapprochée de Vladimir Poutine et donc l’industrie pétrolière du pays. Les USA notamment pourraient trouver un intérêt fort à ce que les prix du brut s’effondrent pendant quelques temps pour mettre à genou le Tsar sauvage. Par contre, je vois mal quel intérêt l’Arabie saoudite pourrait y trouver pour son compte à elle? Si réellement, cette option venait à être la bonne, nous pouvons tous être certains que les USA ont promis une compensation à la hauteur des sacrifices complétée par un juteux bénéfice à Ryad. Pour ma part, je ne vois qu’une seule chose qui, dans l’ordre de grandeur, pourrait remplir un tel rôle : l’attribution d’un morceau de territoire laissant entrevoir des perspectives importantes en terme de ressources exploitables, ce qui ne serait pas illogique, puisque nous pouvons légitimement soupçonner la fin de la domination pétrolière de l’Arabie Saoudite selon les explications données plus tôt. On rentre ici, bien évidemment, dans le machiavélisme pur, puisque les USA ne sont propriétaires de rien dans la région du Golfe et qu’ils ont/auraient forcément fait une telle promesse à l’insu du légitime propriétaire. Ne souriez pas, ils ne se sont pas gênés de le faire par le passé et je crains qu’ils le refassent à futur. Les victimes potentielles pourraient se trouver du coté de l’Irak après un éclatement provoqué, voire de la Syrie, ou une combinaison plus complexe impliquant ces pays et d’autres. Les faucons de l’administration Bush avaient re-dessiné un nouveau moyen-orient à l’insu des personnes concernées, il y a déjà quelques années de cela. Une tentation de cette nature expliquerait bien des choses. Les USA aiment à jouer aux apprentis-sorciers et semblent n’être jamais capables d’en tirer des leçons salutaires après moult tragédies pour les populations locales et échec global de leur politique.

La première de ces cartes représente la réalité actuelle, la deuxième la vision idéalisée par l’armée américaine en 2006. La tentation de forcer la création d’un tel nouveau paysage a été à ce point présente que la nouvelle carte a même été enseignée dans les écoles d’officiers de l’OTAN sous supervision américaine.

Daech ou autrement dit l’Etat Islamique pourrait également être une cible de choix. Et paradoxalement, cela donnerait une bonne explication à l’affirmation faite par les saoudiens eux-mêmes qu’ils viseraient la filière “schiste &co”. Il faut savoir que Daech a été financé, au minimum initialement, par des princes wahhabites divers (qatari ou saoudien), et qu’une part importante de ces mêmes princes adhèrent sans le moindre problème au projet de société prôné par Daech, même si pour des raisons de respectabilité extérieure ils font semblant de s’en distancier (note : ce sont les mêmes princes qui avaient financé Al-Qaida). On pourrait imaginer ici que les intérêts américains et saoudiens aient subitement convergé. Les américains ne trouvent pas en Daech la marionnette malléable et obéissante qu’ils auraient souhaitée (tiens vous vous rappelez, Ben Laden travaillait initialement POUR la CIA!), tandis que Ryad a subitement pris peur que ce Frankenstein à la sauce islamique ne se retourne contre son créateur. Mais voilà jamais au grand jamais, les saoudiens ne pourront publiquement annoncer à leur population qu’ils sont entrés en guerre totale contre Daech, car la sympathie générée par ce mouvement dans la population, jeune et sans espoir pour rappel, saoudienne pourrait induire directement une guerre civile. Au contraire, laisser croire que l’on s’attaque au Grand Satan américain ne peut que générer une adhésion du public. Je n’oserai pas affirmer de manière péremptoire que ce scénario est la vérité sans aucun doute possible, mais si je devais parier cent sous sur la question, je les placerais en priorité sur ce cheval plutôt qu’un autre.

D’autres scénarios peuvent être envisagés et même étayés. Une seule chose demeure, les misérables populations liées à cette gigantesque partie d’échec planétaire ne sont pas prêtes d’arrêter de souffrir! Il est indubitable que les marchés des ressources fossiles sont devenus un immense champ de bataille avec des enjeux dépassant de très loin l’influence d’un seul pays, même plutôt économiquement fort comme notre bonne Helvétie.

En ce qui concerne notre pays, nous courons des risques divers dont à signaler plus particulièrement :
– de prendre des décisions majeures ou réaliser des investissements stratégiques inappropriés suite à des conditions artificielles temporaires,
– de subir des perturbations économiques graves dues à des fluctuations imprévisibles et de grande ampleur des coûts de l’énergie,
– être impliqués à notre corps défendant dans des conflits géo-stratégiques mondiaux sur lesquels nous n’avons en réalité aucun intérêt ni influence,
– devoir accepter des accords internationaux contre nos désirs réels de par notre dépendance de l’étranger.

Assurer l’indépendance énergétique de notre patrie correspond à assurer son indépendance et sa sécurité tout court, peut-être bien autant qu’avoir une armée apte à défendre le territoire national.

Aujourd’hui la transition énergétique, souhaitée pour d’autres raisons, reste du domaine des vœux pieux. Les mesurettes proposées, nous le savons déjà, ne conduiront qu’à une augmentation de quelques pour-cents des énergies renouvelables, qui sont ici en premier lieu des énergies indigènes!

Le 8 mars prochain, le souverain helvétique votera sur l’initiative des Vert’libéraux connue sous le nom de TE-TVA ou par son titre récrit récemment “une fiscalité écologique à la place de la TVA”. En disant OUI à cette initiative, vous agirez pour
* la protection du climat
* une diminution de la pollution de l’air
* simplifier la bureaucratie de notre pays
* une sortie effective et raisonnablement proche du nucléaire
* mais aussi pour assurer l’indépendance de notre patrie !!

Ce sujet va passablement m’occuper sur le premier trimestre 2015, et il ne se passera pas longtemps avant que je vous en reparle.

Laurent-David JOSPIN

Sources :
Al Huffington Post Maghreb, Et si le Moyen-Orient ressemblait à ça? La carte du Moyen-Orient idéal pour l’armée américaine en 2006, 25/10/2013, http://www.huffpostmaghreb.com/2013/10/25/moyen-orient-armee-americ_n_4157849.html
Express be, “L’OPEP ne réduira pas sa production de pétrole, même si les cours tombent à 20 dollars le baril“, 24 décembre 2014
Ken Farsalas, The Oberweis Report, “No speculation on Oil Reality“, 29.07.2008
The Guardian, “Wikileaks cables: Saudi Arabia cannot pump enough oil to keep a lid on prices“, February 8 2011
L’observatoire de la liberté religieuse, “http://www.liberte-religieuse.org/arabie-saoudite/