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Comment imaginer un système de santé durable ?

Dixième article de la série estivale “politique de santé”

N’espérez pas un coup de baguette magique, car aucune mesure ne pourra seule rétablir une solidité durable d’un système qui emporte avec lui des tares originelles aussi fortement ancrées dans son ADN. La lucidité l’impose : il faut un ensemble de mesures cohérentes adressant l’ensemble des faiblesses reconnues pour offrir la possibilité de reconstruire un système pérenne.

Désespoir factureSi vous ne supportez plus vos factures médicales ….

Le plus libéral des deux auteurs envisage en toute logique que le patient puisse reprendre le contrôle de sa santé selon ce qu’il jugera bon pour lui, mais également que la deuxième face de la médaille de la liberté soit la responsabilité reprenne la juste place qu’il lui revient pour l’ensemble des acteurs impliqués que cela soit le patient, le politicien, la grande industrie pharmas comprises !, ou même le corps médical.

Symétriquement le médecin voit en premier lieu les difficultés concrètes dans sa pratique de tout les jours ou encore les incohérences du système tiraillé entre les contraintes financières, politiques, et ha oui aussi médicales respectivement scientifiques !

Blaise & Laurent :
Historiquement, le médecin représentait l’autorité dont les avis ne se discutent pas de la même façon que Monsieur le Maire ou le Notaire du village. Malheureusement, ce principe initial conduit une grande part de la population à ne s’intéresser à sa santé que lorsqu’elle est déjà tombée malade. Le patient doit reprendre le contrôle de son propre corps et donc sa propre vie autant que possible. Il faut imaginer former dès le plus jeune âge, via des programmes scolaires adaptés et ouverts, à savoir lire et comprendre une notice de médicament, à ce que veut dire concrètement “des effets secondaires”, à la prévention, à comprendre ce que la surmédication apporte comme conséquences négatives jusqu’à de la létalité supplémentaire … bref à regagner une liberté de choix effective car en pleine connaissance des bénéfices et coûts. Pour beaucoup de patients, découvrir que l’opération ou le traitement projeté pour telle pathologie ne signifie pas réellement guérison mais juste vivre avec un problème moins grave représente un choc douloureux.

Laurent :
Une meilleure compréhension des enjeux médicaux permet aussi aux patients une collaboration active au niveau thérapeutique. Sur internet se côtoient le pire et le meilleur. Il faut néanmoins reconnaître que pour certaines pathologies rares, la recherche de cas similaires au plan mondial a permis à des malades ayant pratiquement perdu tout espoir de retrouver le chemin soit d’une guérison ou tout au moins d’une vie meilleure. Donner à notre population les clefs pour trier les charlatanismes des thérapies novatrices et porteuses d’espoirs réels contribuera utilement à une relation apaisée entre patient et médecin. La pression liée aux intérêts économiques des industries, pharmas comprises, s’oppose frontalement à une telle évolution. Toutefois, j’en suis persuadé, il n’y a pas de perspectives durables dans le tout artificiel ou tout chimique.

Blaise & Laurent :
La population a souhaité que le système d’assurance maladie soit obligatoire. Il est dès lors inacceptable de ne pas disposer d’une transparence totale sur les coûts pour les acteurs au bénéfice d’un monopole étatique. On pense bien sûr aux assurances, mais également aux grandes pharmas qui imposent des coûts exorbitants sur certaines nouvelles molécules sans que le bénéfice en terme de santé soit du même ordre de grandeur pour le patient.

Blaise & Laurent :
L’indépendance des organes sensés contrôler les acteurs doit être complètement repensée et renforcée. De fait, aujourd’hui très fréquemment les personnes en charge de ces contrôles proviennent des mêmes cercles que ceux qu’ils sont sensés contrôler ou pire encore dépendent d’eux pour des budgets de recherche.

Blaise & Laurent :
La justification des soins de haut niveau dans les deux extrémités de la vie doit pouvoir être débattue sereinement politiquement. Est-il réellement nécessaire de chercher à faire survivre des « enfants » de moins de 26 semaines de gestation en mettant en jeu des moyens excessivement sophistiqués, et donc excessivement onéreux, tout en sachant que le taux de séquelles est très élevé et que ce risque va devoir être supporté par la société dans son ensemble ? Tandis qu’à l’autre extrême de la vie, on doit s’interroger sur le bien fondé d’engager des traitements lourds, invalidants et onéreux pour des malades dont on sait très bien que l’espérance de vie n’est que de quelques semaines.

Ces questions de société sont douloureuses et ne peuvent être seulement décidées par le corps médical ou l’entourage du patient. Car, rappelons-le dans notre modèle mutualiste des soins, c’est toute la population qui participe aux frais engendrés. Nos élus devraient avoir le courage de trancher ces questions et imposer des limites raisonnables ou autrement dit durables au système.

Blaise :
Le ministre de la santé doit continuer à influencer et au besoin décider unilatéralement de la valeur du point Tarmed ou de la dévalorisation de points techniques lorsque l’on se trouve face à des abus manifestes, en particulier pour des actes très courants et devenus beaucoup plus simples du point de vue technique comme l’opération de la cataracte, ou certains examens radiologiques ou encore le recours systématique à l’endoscopie pour de petites interventions de chirurgie de la main, par exemple, entraînant des frais techniques aberrants.

Blaise :
Le Conseil Fédéral devrait aussi décider unilatéralement, – car un consensus sera impossible!- de l’importance du catalogue des prestations à charge de l’assurance maladie mutuelle, car actuellement on assiste à une dérive de prestations qui relèvent plus du bien-être que de la médecine, et devraient donc être exclus du dit catalogue, par exemple certaines interventions phlébologiques, certaines consultations psychologiques et divers traitements dermatologiques, pour n’en citer que quelques uns.

Blaise & Laurent :
Il faut aussi légiférer sur l’opportunité de valoriser le recours à des infirmiers/ères de premier recours, spécifiquement formés/ées pour prendre en charge les suivis d’affections fréquentes, en particulier le suivi de l’hypertension, du diabète, des troubles nutritionnels, les soins de base traumatiques, etc. , ce qui déchargerait d’autant les consultations des médecins généralistes qui sont surchargées de petits contrôles sans réelle nécessité de la présence d’un médecin.

Blaise :
Il faut chercher par tous les moyens à inverser la tendance au recours systématique à une médecine défensive, qui entraîne une avalanche d’examens et de consiliums, cause en partie du renchérissement des coûts et en particulier des coûts ambulatoires et source de bénéfices importants pour certains laboratoires et prestataires de soins hyperspécialisés. Pour ce faire, la FMH doit avoir une attitude défensive à l’égard de ses membres et systématiquement attaquer le recours trop fréquent à la judiciarisation des actes médicaux que ce soit au niveau des assureurs, des avocats et autres tribunaux. A mon sens, les médecins ne se sentent pas suffisamment soutenus par leur instance faîtière et cherchent donc à se protéger dans toutes leurs décisions.

Blaise :
La FMH et les sociétés de discipline médicale doivent généraliser l’usage des guidelines pour toutes les affections courantes, avec la possibilité de recourir à des sanctions vis à vis de ceux qui s’y opposeraient sans justification, allant de l’avertissement aux amendes et jusqu’à l’exclusion de la société médicale.

Laurent :
Je comprend la logique d’une telle pratique, toutefois, il faut à mon sens la tempérer, car certains consensus médicaux sont sujets à débats. Ex. Pour de nombreux patients le protocole de traitement “helvétique” de la maladie de Lyme se révèle totalement inopérant, alors que la variante préconisée par les médecins américains offre un réel bénéfice thérapeutique.

Blaise :
Le dossier médical du patient, informatisé, doit être généralisé et devenir une obligation tant pour le patient lui-même que pour le prestataire de soins, de façon à éviter les doublons dans les examens et là aussi des sanctions devraient être mises en place à l’égard de ceux qui n’en tiendraient pas compte.

Laurent :
On comprend aisément l’avantage d’une telle mesure, toutefois elle pose aussi un problème potentiel grave d’atteinte aux libertés individuelles. Le corollaire d’une mesure aussi stricte risque bien d’être le droit de s’affranchir complètement du système. Ce point doit également être mis en perspective avec les limites de la mutualité, à partir d’un certain point, il peut devenir parfaitement légitime de vouloir renoncer à l’ensemble et se prendre en charge soit-même. On rappellera en passant qu’environ 50 % des coûts de la santé sont assumés par les impôts ordinaires. Dès lors, même en refusant de cotiser et profiter du système, on reste solidaire via sa fiscalité. Je suis parfaitement conscient que préconiser l’abrogation de l’obligation de s’assurer ne trouvera pas une majorité aujourd’hui devant la population. Toutefois, au début de la LAMAL une infime minorité, de l’ordre de 5 %, de la population adhérait à une telle vision. A l’heure actuelle, nous avons passé les 30 %. Encore 20 à 30 % de hausse (soit ± 6 années au rythme actuel) et nous pouvons être quasiment sûr que cette option ne pourra plus être balayé d’un revers de la main.

Blaise & Laurent :
Une réflexion doit débuter pour envisager les limites du mutualisme avec la possibilité d’introduire, pour les assureurs, des bonus/malus dans les attitudes de vie : tabagisme, inactivité,par exemple. Ce d’autant plus que, comme expliqué ci-dessus, même ainsi le citoyen restera partiellement solidaire via non plus sa prime mais son bordereau d’impôt.

Blaise & Laurent :
Les assureurs doivent favoriser et promouvoir la prévention au niveau du mode de vie, avec là aussi des incitations financières fortes.

Blaise & Laurent :
Chaque patient devrait recevoir en fin d’année, systématiquement, un décompte global des frais qu’il a engendrés de façon à le rendre conscient de l’importance de ceux-ci.( la réaction humaine veut que ce soit toujours le voisin qui coûte le plus cher…)

Blaise & Laurent :
Et bien sûr, puisqu’il y a manifestement un incendie, il faut arrêter d’arroser avec de l’huile. L’OFEV (Office Fédéral de l’Environnement a évalué que la pollution de l’air induisaient des coûts de sur la santé se situant à environ 6 milliards par an, soit 10 % des coûts totaux. Pour la première fois en Suisse, une autorité a officiellement reconnu que nos choix sociétaux, ou plus précisément l’absence d’une politique environnementale suffisante, induisait un coût concret. Si on extrapole ce résultat à la pollution des sols, en rappelant par exemple que même les consommateurs bio présentent des taux de glyphosate, cancérogène supputé, dans leurs urines, ainsi que à la pollution des eaux chargées en résidu de médicaments les plus divers , il ne semble pas complétement absurde d’affirmer que peut-être jusqu’à un tiers de nos problèmes médicaux puisse provenir en fait de la pollution sous toute ses formes.

En agissant sur ces causes externes, on obtiendra un résultat bien plus durable qu’avec milles mesures de gesticulation sur les tarifs de ceci ou cela ou encore de répartition des coûts.

La vie, la vraie pas celles idéalisées des idéologies des uns ou des autres, nous montre son infinie complexité jour après jour. On comprend dès lors aisément que si nous voulons aller en direction d’un système de santé durable nous n’échapperons pas à une réflexion en profondeur incluant tout les facteurs internes et externes, et ceci de préférence très rapidement vu l’urgence manifeste.

Blaise Courvoisier et Laurent-David Jospin

Table des matières de la série : ici