Les caisses d’assurance prises dans un conflit d’intérêt patent ?

Septième article de la série estivale “politique de santé”

Dans une enquête policière, on cherche souvent à élucider le crime de manière indirecte en se posant la question de savoir à qui il profite. Depuis la création de la LAMAL, qui, rappelons le, avait pour objectif affirmé de diminuer les coûts de la santé, le montant des primes grimpe année après année et selon les cantons considérés, il a déjà plus que triplé.

Lorsqu’on explique à une personne étrangère le fonctionnement de la LAMAL, elle montre souvent beaucoup de difficulté à concevoir qu’une assurance privée ayant mobilisé des fonds privés puisse accepter de prendre des risques entrepreneuriaux dans un modèle lui rendant impossible, tout au moins théoriquement, sa libre capacité à générer des bénéfices.

De fait, si nous voulons réellement comprendre le fonctionnement économique du modèle d’assurance santé mis en place en Suisse, nous ne pouvons faire l’impasse de déterminer les intérêts avoués ou inavouables des caisses d’assurances.

Un premier constat s’impose d’emblée, si réellement les assurances actives sur le créneau LAMAL ne voyait aucun intérêt à fonctionner dans un tel contexte, elles ne le feraient tout simplement pas. Or manifestement les caisses se battent littéralement pour attirer le plus grand nombre d’assuré possible à grand renfort de publicité payée par les assurés.

helsassura

Jusqu’à un fameux arrêt du Tribunal Fédéral, on pouvait, doit-on dire naïvement, croire que le seul intérêt des assureurs résidait dans l’opportunité de vendre des assurances complémentaires, domaine dans lequel le bénéfice est permis rappelons-le. Or le dit arrêt interdisant à une caisse de résilier les complémentaires de l’assuré résiliant la base n’a rien changé ni aux pratiques ni aux motivations d’ailleurs.

Par ailleurs, si l’esprit de la loi, soit pas de bénéfice dans l’assurance de base, motivait réellement les politiques des entreprises concernées, elles n’hésiteraient pas une seconde à publier leurs comptes dans une transparence totale, puisque celle-ci serait tout à leur avantage. Or, une partie significative du public et de la classe politique réclame depuis des années un meilleur accès à la réalité des comptes sans succès. Les assurances usent et abusent de prétextes multiples comme le secret des affaires pour restreindre l’accès aux informations ou alternativement rendre ces dernières quasiment inexploitables. Le grand scandale vécu récemment en Suisse romande au travers des primes excessives payées par les assurés genevois, vaudois et neuchâtelois, démontre sans discussion possible que les chiffres communiqués par les assurances s’apparentent plus à un brouillard tactique qu’à une vraie information. L’OFSP lui-même, et malgré son armée de spécialiste, s’y est égaré suffisamment longtemps pour que les assurés lésés ne puissent plus être remboursés ou alors de manière réellement lacunaire.

A défaut d’avoir un plein accès aux comptes, on en reste contraint à émettre des hypothèses. Sur la base de son expérience dans les transactions d’EMS à remettre, un des deux co-auteurs se permettra de penser qu’une tactique très similaire à celle déployée par les exploitations d’EMS de Suisse romande doit avoir lieu.

En peu de mots, un EMS genevois conventionné type (donc reconnu par la Santé Publique du canton) doit présenter un plan financier total, les pertes éventuelles incombent à l’exploitant, tandis que le bénéfice ne peut dépasser un plafond défini et bien plus bas que les attentes des investisseurs privés. Pourtant très surprenamment, les acteurs de ce domaine très particuliers n’hésitent pas à parler de “pompe à fric”, comment est-ce possible ? Par un mécanisme simple et au final relativement peu contraignant, soit l’externalisation orientée des postes de charge ! Un EMS peut par exemple engager une brigade de cuisine pour la préparation des repas aux résidents. Il prendra dans ce cas l’entier des risques liés à la gestion d’un véritable restaurant, mais ne pourra en tirer un seul franc de profit supplémentaire. Alternativement, il peut déléguer la fourniture des repas à un prestataire externe (société de catering selon la terminologie en vigueur), qui elle, non soumise aux contraintes financières légales peut parfaitement réaliser tout le bénéfice qu’elle souhaite. Si le prestataire externe appartient en finalité aux mêmes ayants-droits économiques que ceux du donneur d’ordre, les bénéfices non autorisés légalement au niveau de l’EMS se rapatrient malgré tout dans les poches des propriétaires de l’EMS.

Si on pense aux assurances, un tel mécanisme peut (pourrait?) s’appliquer sur pratiquement toutes les positions du compte de pertes et profits, autres que les coûts de la santé proprement dit, comme la location des locaux y inclus la maintenance, le mobilier, la bureautique au sens large, voir certaines prestations liées aux collaborateurs dès l’instant où ceux-ci travaillent non seulement pour la base mais également pour le domaine complémentaire.

L’attitude des assurances génère un puissant malaise. Si elles étaient autant irréprochables qu’elles veulent bien le prétendre, elles se dépêcheraient de le prouver à l’ensemble de la population.

On ne peut s’empêcher de penser, que quoi qu’il en soit, un mécanisme doit forcément exister qui rend attractif le fait d’être positionné sur ce créneau soit-disant non bénéficiaire. Dès lors, plus le volume financier traité monte, plus il est possible de dissimuler du bénéfice via des activités annexes ou connexes.

Au final, et vu la contrainte de s’assurer pour tout un chacun, les caisses d’assurances n’ont aucun intérêt à voir les primes baisser, et c’est même sans doute le contraire qui est vrai.

Blaise Courvoisier et Laurent-David Jospin

Table des matières de la série : ici

Prochain article : L’industrie lancée dans une fuite en avant sans fin ?

2 thoughts on “Les caisses d’assurance prises dans un conflit d’intérêt patent ?

  1. Gabriel Klein

    Mon commentaire habituel 🙂

    C’est aussi un point qui me titillait… pourquoi une assurance se bat tellement contre la caisse unique si finalement elle ne fait pas de bénéfices.

    Comment se fait-il qu’on ai des primes qui passent du simple au double?

    Il y a les rapports annuels qui sont assez intéressantes … par exemple dans le cas d’Assura (qui est encore la plus transparente dans les différents papiers que j’ai trouvés).

    Quelques points que j’ai trouvés dans différents rapports:
    * Les assurances ont des bien immobiliers et des “assets” qu’elles financent avec l’argent des assurés. Il y a quand même des flux bizarres ou ces biens sont vendus à des prix très bas…
    Il y avait un cas sur Genève ou un immeuble avait été vendu pour un prix très bas entre deux assurance, et l’état c’était porté acquéreur. Ou simplement la partie “LAMAL” qui loue à prix d’or sa place dans un immeuble.
    * Il y a des frais externes… par exemple l’informatique. C’est étrange de voir que ces “frais externe” représente plus d’argent que le coût des employés dans certaines assurances…
    * Les assurances maladies sont dirigées par des personnes qui se payent un haut salaire (Exemple: 1 millions) et qui simplement défendent leur intérêt et leur salaire. Elles en ont rien à cirer d’avoir une assurance qui fait beaucoup de bénéfices tant qu’elles peuvent avoir leur salaire a plusieurs centaines de milliers de francs.

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    1. admin Post author

      Et bien merci pour la fidelité et la participation.
      Quelque chose doit clocher quelque part, car sinon cela fait longtemps que nous aurions la transparence souhaitée.
      Une prolongation de votre remarque sur les salaires à 1 M CHF : pour ma part, en tant que petit entrepreneur qui doit gagner client après client, je considère que recevoir un salaire de 1 M CHF par année, alors que sa clientèle est captive (La LAMAL est OBLIGATOIRE!) et que les éventuelles pertes d’un exercice sont automatiquement reportées sur les clients l’année suivante sans que ceux-ci puissent la contester, correspond tout simplement à une distribution de bénéfice dissimulée.
      On peut relever d’ailleurs que les les petits entrepreneurs sont à la merci d’une requalification fiscale de cette nature pour des montants largement inférieurs à ce 1 M CHF dont on parle.
      Laurent-David Jospin

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