Le personnel soignant peut-il encore jouer son vrai rôle?

Sixième article de la série estivale “politique de santé”

La vie du médecin et du personnel soignant des hôpitaux ou des homes évolue rapidement dans le sens d’une déshumanisation progressive du contact relationnel avec leurs patients. C’est devenu une plainte récurrente des deux parties et l’on peut évoquer plusieurs causes à ce détestable constat.

1/ une main-mise administrative de plus en plus chronophage pour tous les prestataires de soins : demandes incessantes de justification de la part des assurances et de leurs médecins conseils en particulier. Dossiers informatisés de plus en plus complexes à remplir pour chaque patient arrivant dans une unité de soins ; il vient ainsi d’être démontré qu’un médecin assistant passe désormais plus de temps à accomplir diverses tâches administratives qu’à être auprès de ses patients…Évoquons aussi ces interminables évaluations à l’entrée dans un home qui permettront d’obtenir une subvention supplémentaire pour les soins fournis…

pas de problème le temps deMerci à Amanda pour sa participation

2/ une pression financière détestable avec un prix du point en baisse depuis l’introduction de Tarmed en 2002 ( alors que l’IPC augmente lui régulièrement…) et une rémunération des prestations basées sur un minutage, ce qui rend, avouons-le, le rapport avec le patient très inhumain et désagréable ! Impossible dès lors d’envisager une consultation de longue durée, immédiatement sanctionnée par une demande de justification de l’assurance pour dépassement du temps moyen de consultation ! Pour certains médecins qui ne font pas d’actes techniques ( en principe mieux rémunérés), cette façon de tarifier à la minute les pousse parfois à multiplier les consultations brèves, peu satisfaisantes, pour tenter de conserver le même niveau salarial, ceci bien évidemment au détriment de la qualité relationnelle des consultations.

3/ le médecin est de plus en plus la cible d’actions judiciaires et extrajudiciaires, car les assurances proposent régulièrement des protections juridiques associées aux contrats de base. Voici la porte ouverte à des plaintes plus ou moins justifiées ( surtout moins au vu des résultats de ces actions) . Cela permet aussi l’émergence de ce que l’on appelle la médecine défensive : le praticien fait de plus en plus d’examens complémentaires pour pouvoir éventuellement se justifier devant des juges qui ne comprennent rien au processus diagnostic mais qui tiennent comptent de ces listes d’examens. Ceux-ci apparaissent par contre à certains professionnels comme totalement inutiles, voire parfois dangereux, sans compter que c’est là aussi une des causes du renchérissement de la médecine actuelle.

4/ l’hyperinformation des patients, tant dans les médias qu’avec Internet, a permis de briser le mythe du mandarin qui savait tout et n’avait à se justifier de rien. Néanmoins cela aboutit à présent à remettre fréquemment en question le processus diagnostique et thérapeutique. Le patient doute de son médecin et celui-ci a la désagréable impression de se sentir continuellement jugé par des personnes qui n’ont pas le niveau de connaissance et d’expérience qu’il a lui-même acquis.

Laurent :
Une partie de l’enjeu essentiel se situe justement ici. Pour ma part, je reste persuadé que le citoyen doit en premier lieu se prendre en charge autant que faire se peut et réserver la voie “médicale lourde” à ce qui le dépasse vraiment. Il faut donc dépasser ce stade dans lequel l’information du patient devient un problème pour le médecin, mais à l’inverse permettre d’établir une collaboration où le patient et son médecin travaille ensemble à la résolution d’un problème.

Tous ces constats expliquent un tant soit peu la réelle difficulté actuelle à trouver une saine relation thérapeutique entre prestataire de soins et patients.

Blaise Courvoisier et Laurent-David Jospin

Table des matières de la série : ici

Prochain article : Les caisses d’assurance prises dans un conflit d’intérêt patent ?

(1) www.letemps.ch…chuv-medecins-passent-trois-plus-devant-ecran
(2) www.fmh.ch/files/pdf16/SAEZ18 Jahresbericht Gutachterstelle 2014 F.pdf
(3) “smarter medecine : la liste Top 9 de la SSMI” in Bull.méd Suisses 2017;98(24)763-764

3 thoughts on “Le personnel soignant peut-il encore jouer son vrai rôle?

  1. Gabriel Klein

    Avis intéressant de Blaise Courvoisier qui rejoint mes observations malheureusement.

    Clairement il y a un soucis… et surtout l’impression de se “faire avoir” lors d’une consultation du point de vue du patient – particulièrement si on paye tout de notre poche n’ayant pas atteint notre franchise.

    On voit nombre de tests et d’actes qui n’ont rien à voir avec la pathologie. Il y a des tests “sur la défensive” qui n’apportent rien au patient. Il y a une addition de “petites actions” dont le but est clairement de pouvoir facturer des choses en plus. Sans compter les gros arrondis vers le haut… 7 minutes de consultation devenant 30 (cas d’un collègue).

    J’ai personnellement vu un prix de consultations de base qui ont vraiment pris l’ascenseur depuis 4-5 ans. Dans mon cas certaines consultations “de base” pour la même chose ont passées de moins de 100.- à environ 250.- avec tous les tests et tout les petits trucs facturés à gauche et à droite.

    J’ai l’impression qu’un médecin pour faire tourner son cabinet prend l’argent de plus en plus sur les petites choses, sur les patients non remboursés (ce qui évite d’avoir ensuite la caisse sur le dos). Additionne et facture un maximum de choses. Fait des “comptes d’apothicaires”. Essaye de remplir son cabinet un maximum (ce qui fait que les patients doivent attendre plus longtemps). C’est compréhensible qu’il compense ce qu’il perd d’un côté en prenant d’un autre côté, mais cela génère une impression de se faire arnaquer par le système sociale, et par les prestataires de ce système. Surtout que ce déplacement des charges se fait sur ceux qui payent tout de leur poche. Ces mêmes personnes commencent à ne plus avoir accès à certaines prestations… et se dirigent sur l’auto-médication (merci Internet), sur l’achat de médicaments à l’étranger, sur d’autres types de traitements (aux herbes).

    On a fait de la médecine de base en Suisse un “luxe”… et les patients se tournent sur de la médecine bon marché (homéopathie, internet). Simplement car il n’y a plus de médecine “de base” qui soit accessible sauf en allant à l’étranger.

    Quand une catégorie de la population – non sponsorisée – à l’impression de ne plus pouvoir se permettre le “luxe Suisse” que sont les soins de base, mais se retrouve à payer plusieurs milliers de francs pour permettre ce luxe à d’autres (LAMAL) – cela crée une situation explosive. Avec clairement des citoyens de plus en plus critiques envers leur prestataires médicaux et de moins en moins sociaux. Des citoyens qui ne veulent plus financer l’accès à un système de santé à une catégorie de population moins aisée qu’eux (les “réfugiés”, les personnes au social, les “vieux”).

    Bref on a crée une situation malsaine – un système de santé à deux vitesses qui est devenu inaccessible pour une partie croissante de la population. Et que fait l’Etat… il régule encore plus (sur le dos des médecins, cliniques et prestataires de soins qui ont aussi sans le vouloir crée cette situation). L’Etat a raison de vouloir empêcher certaines “failles du système”… d’ailleurs avec les réactions épidermiques de ceux qui utilisent ces failles pour ne pas perdre en pouvoir d’achat. Maintenant cela crée un système encore plus complexe, et encore plus injuste (contre ceux qui n’utilisaient pas ces “failles”).

    Est-ce qu’il n’y aurait pas possibilité pour certains médecins de “sortir du système” et proposer des prestations “tout inclus” pour justement cette partie de la population non sponsorisée par l’état ni l’assurance maladie (non remboursé par la LAMAL)? Par la même occasion pouvoir s’occuper à 100% des patients – et éviter le 70% d’administratif…

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    1. admin Post author

      La suggestion/question de la fin du message de M. Klein m’a interpellé, car il se trouve que dans le domaine des EMS (plusieurs mandats de vente de tels établissements réalisés avec succès), une question très similaire se pose en Suisse Romande, soit être conventionné avec la clef subventions des pensionnaires mais plans financiers régulés par le Canton concerné, ou ne pas être conventionné et pouvoir opérer librement. Sur les cantons de Vaud et Genève seule une infime minorité prend le risque ne pas être conventionné, mais ceux qui le prennent gagnent clairement mieux leur vie.
      Pour la médecine, je serais bien incapable de le dire, mais au vu de la situation étudier cette question mériterait d’être fait au minimum.
      Laurent-David JOSPIN

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  2. Kyra Smiley

    Je viens de réaliser ma première expérience d aide soignante, j étais payé 21.5 de l heure. J avais 7 minutes le soir pour coucher mes résidents en situation de dépendance. Je me demande comment je peux réaliser mon travail comme il le faut. J’ai été virée car j ai exprimé mon point de vue et mon désarroi en étant jeune diplômé et on m a traité comme une incapable. J’ai moyennement confiance en un directeur qui a travaillé avant cela pour des grandes entreprises capitalistes. J’ai eu le même salaire pour nettoyer des casseroles. Il serait temps de traiter les gens comme des humains et non comme des machines. Si notre systèmes maltraite le personnel, je me demande comment le personnel peut rester bien-traitant. Il serait temps que l état surveille réellement la situation, je pense que certains gagent beaucoup sur la traitance des résidents ( direction, actionnaire, ..). J’ai recherché le bilan de l’EMS, j ai retrouvé des chiffres très ancien, je pense que la comptabilité devrait être transparente et présenter chaque année aux résidents et à leur famille qui financent ce système. Les aides soignantes qui restent le font plus par nécessité financière que par vocation. Souvent, le personnel formé en Suisse se décourage lorsqu on voit les salaires et la traitance, les frontaliers se font un plaisir de venir soigner nos malades car ils trouvent la sécurité financière. Les soins en CMS chronométré à la seconde avec des tablettes qui ne captent pas le réseau à certains endroits. Ce n est pas du tout stressant de donner des soins dans des conditions pareilles, on devrait appliquer cet normal à chaque domaine pour que les gens aillent un peu de empathie envers ces pauvres “aide-soignante” qui se battent pour gagner leur vie si on ose utiliser ce terme vu les salaires mais on ferait quoi sans elle.

    Kyra Smiley

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