Je déteste que l’on change les règles au cours du jeu mais …

… Pour cette fois exceptionnellement, ma conviction me pousse à dire haut et fort que cela était justifié. La Suisse vient de se faire condamner à Strasbourg devant la CEDH (Cours Européenne des Droits de l’Homme) pour une triste histoire liée à l’amiante.

Bien évidemment, le fait que mon pays se fasse condamner ne m’enchante guère, mais néanmoins la décision des Juges de Strasbourg est manifestement emprise d’un sens la vraie justice.

En droit, il existe une notion de prescription pour permettre à un éventuel auteur d’une infraction d’échapper à toute sanction s’il n’est pas poursuivi dans un délai donné propre à chaque infraction. Il ne s’agit pas ici d’un “cadeau” que l’on fait au criminel mais d’un mécanisme mis en place pour permettre à notre société de fonctionner le mieux, ou le moins mal possible selon votre ressenti, et ne pas être perturbée en permanence par des histoires surgissant d’un trop lointain passé.

L’idée sous-jacente de ne pas poursuivre des actes n’ayant plus aucune incidence sur la vie actuelle détermine directement la durée de la prescription. Un crime d’une portée sans limite au regard de la durée d’une vie humaine devient donc logiquement imprescriptible, On pense ici tout de suite aux génocides et autres crimes contre l’humanité.

Dans le cas de l’amiante, la durée de la prescription en droit suisse est, pour l’instant, de 10 ans. Or voilà l’intervalle de temps entre l’atteinte à la personne (crime) et l’apparition des symptômes ne relève d’aucune logique simple mais peut atteindre des délais de plusieurs dizaines d’années.

Dans le cas qui nous occupe, la personne a déclaré un cancer de la plèvre globalement 30 ans après l’exposition à l’amiante. Sur cette base, le Tribunal Fédéral a eu une lecture du sens de la prescription étroite et a refusé le droit à un procès en dédommagement pour la famille lésée en argumentant que la démarche dépassait très largement le délai prévu par la loi de 10 ans.

L’analyse de la  CEDH se base-elle sur l’impossibilité pratique des victimes à obtenir réparation puisque la plupart des cancers générés par une exposition à l’amiante se déclarent bien au-delà de ces fameux 10 ans.

Cette évolution du droit mérite d’être relevée. Ne serait-ce que 10 ans plutôt un tel jugement restait du domaine des pures illusions.

Sur ce, il semblerait que le Parlement envisage une modification de la loi dans le sens d’un démarrage de la prescription au moment de l’apparition des symptômes et non plus de l’exposition à l’amiante.

Une telle évolution de la loi me semble être de la plus élémentaire justice! Et on doit aussi en tirer un parallèle en toute cohérence avec les industries générant des pollutions environnementales dont les conséquences se font attendre sur le long voir très long terme (chimie, gaz de schiste, nucléaire, … ) .

Si aujourd’hui, nous passons une loi disant que la responsabilité économique des industries polluantes ne s’éteint qu’après que les conséquences aient pleinement déployées leurs effets d’une part et que d’autre part les ayants-droits (actionnaires et assimilés) de l’industrie concernée se substituent obligatoirement en cas d’insolvabilité du pollueur (faillite ou assimilé), dès demain plus aucune caisse de pension n’investira dans des business irrespectueux de l’environnement, ni aucune banque ne leur prêtera d’argent, et la grande majorité de leur sous-traitants hésiteront fortement à continuer toute relation d’affaires.

Oui, en une seule loi nous pouvons changer radicalement les comportements courts-termistes  de l’industrie et de la finance! Ma conviction est que même sans la mise en place d’une loi comme évoquée, le mécanisme vécu dans le cas de l’amiante se répétera à futur, car scientifiquement parlant aujourd’hui plus personne ne peut dire “nous ne savions pas“. Simplement, si nous voulons induire un changement et éviter toutes les conséquences qu’il est encore possible d’éviter, nous ne pouvons faire l’économie d’inclure dans notre ordre juridique dès aujourd’hui un mécanisme responsabilisant les auteurs des grandes pollutions dont les conséquences se développent quelques fois bien au-delà de la vie des entreprises concernées.

Et puis passer cette loi, appelée de mes vœux, présenterait un avantage évident : dans 20 ans nous n’aurons pas besoin de changer une fois de plus les règles du jeu au cours de la partie …

Laurent David Jospin

Source : site web Radio Télévision Suisse Romande “http://www.rts.ch/info/suisse/5680225-la-famille-d-une-victime-de-l-amiante-obtient-gain-de-cause-a-strasbourg.html

One thought on “Je déteste que l’on change les règles au cours du jeu mais …

  1. Giovanni Tarantino

    Article très intéressant. J’espère que le prolongement du délai de prescription n’aura pas d’effets pervers inattendus. L’avenir nous le dira.

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